Redeker: « Le joueur de foot, habitant hautain d'une exo planète éloignée»

PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

LE FIGARO. - « Vous êtes la France, toute la France», a dit François Hollande aux joueurs de l'équipe de France. Que vous inspirent les polémiques autour du racisme supposé de son entraineur ?

Robert REDEKER.  - Cette footballisation de l'intelligence et de l'espace public renvoie  à l'effondrement du niveau intellectuel des débats dans notre pays.  Quand politiciens, intellectuels et médias en viennent à passer des heures  à commenter les propos  de footballeurs dénués de QI, c'est que l'on a basculé sans espoir de retour dans l'ère du vide. Voyons-y le symptôme d'une provincialisation de la France.

Le café du commerce s'est emparé de la sphère publique.  Rappelons qu'à sa naissance, au XVIIIe siècle, l'espace public est un espace politique à coloration intellectuelle. Cette invasion  de l'espace public par des débats de cette espèce constitue un danger  de mort pour la démocratie. Les saillies de la triplette Benzema- Cantona-Debbouze encouragent, pour soigner une vanité  blessée, une sorte de racisme  anti- gaulois tout aussi pathologique que le racisme anti-arabe, qui existe bel et bien en étant beaucoup trop fréquent.

 D'une part, leurs propos s'inscrivent dans l'ordre du fantasme,

D'autre part, ces déclarations sont proférées selon les règles de la démagogie : leurs auteurs appartiennent à des « élites» sociales richissimes et jettent de l'essence sur le feu du désir de revanche sociale et ethnique. Enfin, l'accusation de racisme est une arme destinée à provoquer la mort sociale de la personne visée.

 Le racisme est tenu  aujourd'hui pour le plus impardonnable des crimes, le nouveau péché mortel. C'est de la diffamation au sens pur: maculer une réputation au moyen d'une accusation dont il restera toujours quelque chose. Cette accusation est d'autant plus efficace que sa vérité ne peut  être prouvée.

 L'accusation de racisme  est une violence désirant perpétrer une injustice irréparable - insistons : irréparable, car on ne peut se remettre d'une accusation de racisme.

La France black-blanc-beur de 1998 était-elle un mythe 

Jingle d'une politique  des minorités, ce slogan cherche à détruire la fraternité.

 L'objectif de cette politique,  dont la France black-blanc- beur figure l'imagier et l'utopie, n'est ni l'assimilation ni l'intégration mais la coexistence de communautés différenciées au sein d'une société fragmentée.

 La fraternité est l'entrée dans une famille,  l'assimilation.

Le « vivre-ensemble» est l'inverse.

Le peuple  français  n'est pas une nation ethnique. La fraternité exprime l'entrée dans cette famille non ethnique, l'assimilation.

Le «vivre-ensemble» dit le contraire: le côtoiement pacifique-y compris  dans des rassemblements festifs, musicaux ou sportifs, toujours éphémères- dans assimilation.

Attachant une importance trouble à la couleur de la peau, ce slogan est anti-republicain:son imaginaire est le même que celui des racistes mais retourné comme un gant.

Le football, sport populaire par excellence,  est devenu un univers de demi-dieux millionnaires ...

Le football est aux mains des industries planétaires du divertissement et de l'hébétude.

 Ces dernières sapent la bonne santé de la société en renversant les valeurs  et en corrompant le bon sens : voici des mercenaires écervelés, immatures et cupides tapant dans un ballon, élus au rang de divinités, quand les véritables créateurs de civilisation, dont l'avenir retiendra les noms  - poètes, penseurs, peintres, sculpteurs, architectes, savants - sont rejetés dans le néant. La médiocrité et la vulgarité de leurs pensées comme  de leurs comportements, de leurs aspirations, prouve  qu'ils ne sont ni des demi- dieux ni des héros.

Y a-t-il quelque chose de cassé entre la population et ce sport ?

Les joueurs  de football ne font plus partie du peuple.  Le peuple ne les regarde plus comme  étant des siens. Tout se passe comme s'ils vivaient dans un monde parallèle auquel le commun des mortels n'accostera jamais. Ils sont perçus comme radicalement étrangers à la vie.

Ils sont regardés comme des extraterrestres qui laissent indifferents, quand ils ne révoltent pas (tels Aurier, ou Benzema)

C'est cette représentation du joueur comme habitant hautain d'une exo planète éloignée qui engendre la  douce nostalgie d'un football issu des profondeurs du peuple, dont les joueurs continuent de vivre et partager ses valeurs, celui des verts de St Etienne.

Les enfants cependant continuent à s'identifier à des champions comme Zlatan lbrahimovic ?

Les joueurs de foot n'existent pas. Ce sont des vignettes Panini que l'on distribue aux caisses des supermarchés. Ils n'ont pas de réalité.

Leurs salaires grotesques - souvent supérieurs à ceux des grands patrons du CAC 40 !- sont de pures abstractions dont nul ne peut  apercevoir la signification.

Les joueurs de foot ne sont plus des êtres humains ordinaires,  comme vous et moi.

Ils sont des mutants fabriqués et formatés, souvent depuis l'enfance, pour le spectacle sportif planétaire. Ils constituent, en même temps qu'une hyper  classe sociale hors-sol, quasiment une nouvelle race se détachant de la race humaine telle que nous la connaissons.

 Ça ne peut pas faire envie. Ça ne peut pas faire rêver. Comme ce sont des êtres virtuels, l'enfant ne peut pas s'identifier  plus profondément à eux  qu'à ses figurines préférées de jeux dont Ils sont des clones.

ROBERT REDEKER